“Two possibilities exist: either we are alone in the Universe or we are not. Both are equally terrifying.”

― Arthur C. Clarke

20071124

Réciprocité du respect

Raymond, le gars du dépanneur du coin, est un gars vraiment bien. Un peu pince-sans-rire, toujours un petit sourire en coin, le regard intelligent et les pieds solidement plantés sur Terre. Ray — je crois — m'apprécie entre autres parce que je le change de sa clientèle habituelle qui vide ses tablettes de grosses molles à longueur de journée en lui demandant de "marquer ça" et qui vient changer ses chèques à sa caisse tous les premiers du mois.

Ray en voit de toutes les couleurs. Souvent il me raconte les anecdotes qu'il subit dans le cadre des opérations reliées à son commerce. Elles sont souvent aberrantes mais Ray est digne de confiance. Je sais qu'il n'exagère même pas.

Hier soir, il s'est mis à me raconter un truc:

"L'autre jour, je revenais de la chasse avec un de mes chums pis on est passé à travers de la réserve indienne. Mon chum m'a demandé si ça me dérangeait qu'il s'arrête pour acheter des cigarettes."

Je n'étais pas pressé. Je me suis appuyé sur le comptoir pour écouter Ray me raconter une histoire qui, croyais-je deviner, tournerait autour du sujet des cigarettes illégales ou du prix du tabac.

"Ils sont bêtes en tabarnouche, ces gens-là!" a-t-il poursuivit.

"J'étais jamais allé dans une de ces places-là. Y'avait une femme en arrière du comptoir… elle regardait une émission sur une petite télévision. Elle ne nous a même pas adressée la parole. Elle a attendu une pause publicitaire pour nous servir!"

J'suis parti à rire. J'ai eu quelques fois à côtoyer nos voisins amérindiens et je ne les tiens pas en très haute estime, malheureusement. Mais Raymond n'avait pas terminé:

" Tu le croiras pas: mon chum a payé ses cigarettes… Pis là, l'émission a recommencé. Ben la grosse madame a attendu l'annonce suivante avant de lui redonner son change!"

En effet, j'avais de la misère à le croire. Mais je sais que c'est tout à fait plausible. D'une part, nous les occidentaux toujours pressés, nous avons du mal à comprendre la toute autre mentalité qui régie le temps qui passe chez les indiens. Et puis, soyons honnêtes, ils ont toutes sortes de raisons pour ne pas nous aimer.

Peut-être que Raymond et son chum sont juste tombés sur une grosse conne. Il en existe chez toutes les races. Peut-être aussi ont-ils été les sujets d'un profond mépris. Mais tout de même, je m'interroge… Si vous êtes passés au travers de ces réserves, vous savez déjà que des cabanes à cigarettes, y'en a aux 200 pieds. Ce n'est pas le choix qui manque. La bonne femme regardeuse-de-télé s'est donc (volontairement ou non) assuré de perdre deux clients. Ou, en tout cas, un seul, parce que Ray ne fume pas et que de toute façon, il fait lui-même le commerce du tabac.

Je constate fréquemment une sorte de syndrome de "vengeance préventive" chez les gens qui, pour toutes sortes de raisons, se jugent victimes d'ostracisme. Par exemple, il y a une heure à peine, je tentais de sortir de chez Maxi avec mon panier mais le trajet était bouché par une famille de "gens de couleur" (en français: des noirs) qui discutaient le bout gras dans l'allée au bout des caisses. Je me suis poliment excusé (à trois reprises) avant qu'un des mecs ne me fasse place en ponctuant son déplacement d'un regard contrarié. Je devine sans mal ce qu'il devait penser à ce moment-là. Pourtant, j'ai la même attitude, peu importe la couleur de peau de l'imbécile qui bloque la voie publique. Mais il était clair que je venais d'être trouvé coupable d'une quelconque forme de racisme. Un non-raciste aurait assurément laissé sa pinte de lait surir dans son caddie le temps que ces crétins ne se déplacent, je suppose.

Pour en revenir aux indiens (ou amérindiens, ou autochtones, sachons être hypocritiquement corrects), j'ai pu les voir aller assez souvent. Ceux de la Baie James, entre autre.

Je me rappelle une fois où, en visite à LG1 pour voir mon père durant le temps des fêtes, je m'étais rendu à l'épicerie de Radisson (je SAIS que j'ai pas à aller jusque là; j'étais de passage sur mes anciennes terres à ce moment-là) et, en stationnant le Chevy Blazer de mon père, j'ai malencontreusement reculé un peu trop. Le 4x4 s'est enfoncé dans un fossé dissimulé sous la neige. Pu moyen de sortir de là. Quatre roues motrices, oui, mais la motricité perd ses attraits lorsque le véhicule d'une demi-tonne repose le frame directement sur le sol et les pneus dans le vide.

Bref, je suis sorti du camion, enragé, et me suis gratté la tête en admirant le chef d'œuvre. Tout près de moi, appuyés sur le mur de la bâtisse, quatre Crees baraqués me regardaient en rigolant. Pendant au moins cinq bonnes minutes (c'est long en estie, 300 secondes, quand ta situation est désagréable), ils m'ont observé à tenter de dé-z'encâlisser-d'un-trou-de-marde-blanche le GM, sans jamais cesser de rire.

Finalement, ils sont venus vers moi, m'ont intimé de remonter derrière le volant, se sont arc-boutés contre la carrosserie et, en un rien de temps, j'étais redevenu mobile.

Voyez-vous, ils n'ont jamais douté qu'ils viendraient m'aider. Mais, dans leur mentalité, rien ne pressait et ils avaient là une belle opportunité de se fendre la gueule.

Autre exemple? C'était quand mon père (oui, il a fait plusieurs projets hydro-électriques) était affecté à SM3 (Projet Ste Marguerite, au nord de Sept-Iles)… Je ne me souviens pas de la nation amérindienne de cette région-là, mais toujours est-il que les accords passés avec eux prévoient l'embauche d'un certain nombre d'entre eux. Mon père, donc, circulait sur la "route" (appelons ça comme ça) qui relie Sept-Iles au chantier. Trois heures de garnottes et de poussière. Justement, une équipe travaillait à l'asphalter.

Mon paternel parvint éventuellement à la hauteur de l'équipe goudronneuse dont, en passant, il supervisait les opérations. C'est pour ça qu'il s'y est arrêté, étonné de constater l'inactivité qui régnait céans. Une demi-douzaine d'indiens étaient accotés sur la machinerie inerte.

"Un problème?" a demandé mon père en descendant de voiture.

"No more gas, boss." expliqua brièvement l'un d'eux.

"Plus d'essence? Est-ce que quelqu'un est allé en chercher? Avez-vous averti quelqu'un?"

Haussement d'épaules désinvoltes. Car voilà une autre caractéristique qui nous différencie des autochtones. Lorsqu'on leur explique ce qu'il y a à faire, ils s'en acquittent parfaitement bien. Mais ils semblent dépourvus de la moindre initiative. Non, personne n'a cru bon de corriger la situation de pénurie d'essence. Ça n'était pas de la paresse: ça n'était juste pas leur job.

Je sais que les indiens ont des tas de raisons de ne pas nous aimer. Je sais qu'on nous demande à tous, en tant que concitoyens, de mettre de l'eau dans notre vin (fût-il de contrebande). Mais je pense que c'est vouloir partir deux pas trop en avant.

Avant de prétendre s'entendre, tout le monde ensemble, il va nous falloir commencer par nous connaître et nous comprendre. Et pour ça, nous n'avons pas le choix, nous allons tous devoir commencer par nous respecter.

9 cyberblabla(s):

Vance a dit...

Constat amer, désenchanté mais lucide et surtout immédiatement et directement transposable dans toutes les situations de tous les pays. Ce "syndrôme de la victime" hérité de siècles de brimades, d'exploitation outrancière ou même d'extermination, engendre des réactions hypertrophiées qui pourrissent les relations. Ils estiment, qu'ils soient Noirs, Rouges, musulmans, juifs, ou représentants de quelque minorité ethnique que ce soit que leur passsé outragé leur confère le droit solennel de passer outre les notions de base de la communication et de la sociabilité. "On a souffert, mec, pouvez pas comprendre." Ils ne revendiquent même plus mais s'octroient ce droit et nous placent devant le fait accompli. Qu'on fasse montre de civisme envers eux, et c'est de la condescendance (on se donne bonne conscience) ; qu'au contraire on les ignore et on se retrouve taxé de racisme, homophobie, intégrisme et j'en passe.
Pourtant ton discours a de quoi irriter car l'équilibre qu'on ne parvient pas à atteindre, chez toi comme chez moi, existe ailleurs. Et quand bien même on y arriverait, il serait d'une extrême fragilité.
On n'a pas fini de payer ce qu'on (nos "ancêtres") leur ont fait subir.

Cyberyan a dit...

Exact. Mais "On" paye ce que nos ancêtres ont fait subir à "leurs" ancêtres, pas à eux.

Vance a dit...

Comme pour les héritages : tu hérites autant des biens que des dettes contractées par ton aïeul.
Et de quoi je me plains moi, puisque en tant que Lorrain, je bénéficie d'une couverture sociale à 100% et jours fériés supplémentaires hérités des Allemands, tout ça parce que notre région a subi plus souvent que d'autres l'Occupation et les ravages de la guerre.

Unbélier a dit...

alors c'est quand on te vois pas loin de chez nous...

Tu sais pour les fréquenter 1-2 fois semaine pour l'essence il n'y a pas de problème, super cool les mecs...Il a du tomber sur une conne voila tout.

PS: les boîtes à cigarette pas à tous les 200m mais tous les 1 km hahahahaha C'est la règlementation compétition oblige hahahahahahaha chu plier en deux la

Cyberyan a dit...

Al:
Mais ils ne l'ont pas eu, la Lorraine! :oD (enfin si, un peu, mais ils l'ont pas gardée, les schleus)

JF:
J'avais quasiment peur que nos débats de '91 (ou était-ce '89?) repartent de plus belle ;o)

Anonyme a dit...

attends...tu dis qu'ils ont des raisons de ne pas nous aimer? On leur accorde le BS, l'exemption d'impôt (et de taxes?) et ce sans leur charger l'électricité et sans les déranger dans leurs commerces, alors je vois pas vraiment le problème...

Cyberyan a dit...

kd:
hey!!! es-tu le KD que je pense que tu es et qui sait qui je pense qu'il est puisqu'il s'adonnerait à être le KD que je pense qu'il est? :o)

Pour répondre à ta question, je dis qu'ils ont DES raisons de ne pas nous aimer. Nuance ;o)

Anonyme a dit...

le même et nul autre ;o)

ca faisait longtemps que j'étais pas passé voir ton blogue, alors j'ai décidé de laisser un petit mot en passant :)

Cyberyan a dit...

kd:
Je suis ravi de ta visite, Mike! Take care :o)

LA DETTE DU QUÉBEC