“Two possibilities exist: either we are alone in the Universe or we are not. Both are equally terrifying.”

― Arthur C. Clarke

20070930

Les expressions idiomatiques

Vous en utilisez à longueur de journée. Ça n'a rien à voir avec votre niveau d'intelligence. Les expressions idiomatiques existent dans toutes les langues. Certains les confondent parfois avec les proverbes.

Les expressions idiomatiques — ou gallicismes quand on réfère à celles de la langue française — foisonnent dans notre parlé quotidien. Ce sont en quelque sorte des métaphores, des analogies servant à illustrer nos propos.

Parmis les centaines qui existent, plusieurs parlent d'elles-mêmes… avoir des fourmis dans les jambes, se jeter dans la gueule du loup, laisser tomber quelqu'un… leur sens propre n'est jamais loin du sens figuré.

Par contre, je m'étonne quotidiennement d'à quel point nous en utilisons une quantité incroyable sans même savoir de quoi on parle! Et je m'étonne d'être vraisemblablement un des seuls à m'en étonner!

Prenez par exemple l'expression "depuis belle lurette". Un collègue entre dans mon bureau et je lui demande: "Coudon, as-tu eu des nouvelles de chose?" et il me répond: "Non, j'ai pas entendu parler de lui depuis belle lurette".

Moi, automatiquement, je tique. C'est immanquable. Je questionne le collègue: "C'est quoi une lurette, anyways?"

Invariablement, ses yeux s'agrandissent et il admet n'en avoir aucune idée.

Lurette, mes amis, c'est un synonyme de "heurette" dont c'est probablement une déformation. Nous savons tous le sens figuré de l'expression "depuis belle lurette". Ça veut dire "depuis un criss de bout'! ". Mais peu d'entre-nous connaissent la signification ou l'origine du terme. Et des expressions comme ça, on en utilise des tonnes!!!

D'autres exemples?

" À brûle pourpoint "

Une amie m'a garoché ça récemment: "Y m'a dit ça d'même, à brûle pourpoint!" Je n'ai pas pu résister à la tentation de lui demander ce qu'était un pourpoint. Elle n'en avait bien sûr aucune idée.

"Donc" lui ai-je fait observer, "non seulement tu ignores ce qu'est un pourpoint, mais je gage qu'en plus tu n'es pas capable de me dire pourquoi on crisserait le feu dedans!"

Je sais qu'un pourpoint est une pièce de vêtement, une sorte de justaucorps. Quant à savoir d'où vient l'idée d'y bouter le feu, voire d'associer pareille action au fait d'agir sans prévenir, j'avoue mon ignorance.

"Prendre ses jambes à son cou". L'expression désigne l'action de fuir le plus rapidement possible. Mais, sérieux, ça court sûrement très mal, les jambes dans le cou. Alors pourquoi cette image?

"Ne pas être dans son assiette". Franchement! Si je retrouve quelqu'un dans la mienne, c'est sa santé mentale que je mettrai en doute, pas son état physique! Pourtant, combien de fois par jour est-elle utilisée, cette expression? Je subodore un lien avec le fait de manquer d'appétit quand on se sent malade. Mais ça n'est qu'une supposition.

"Faire la grasse matinée" c'est dormir tard, je sais. Mais pourquoi "grasse" ? Pourquoi pas "longue"?

"Ne pas manquer de toupet". What-is-the-fucking-rapport ? En plus, ça veut dire la même chose que "avoir du front". Me semble que c'est contradictoire, non? Si tu ne manques pas de toupet, c'est que t'en as beaucoup et on ne te voit plus le front!

"Dormir sur ses deux oreilles". Le summum de la connerie! Watchez-moé ben si un jour je me réveille à côté d'une fille en train de dormir sur ses deux oreilles en même temps… quand j'aurai fini de hurler, je prendrai mes jambes à mon cou à brûle pourpoint pis elle ne me reverra pas la face avant belle lurette!!!

"Ne pas avoir froid aux yeux". D'uh! Fouilles-moi.

"Réussir les doigts dans le nez". Non seulement je ne vois pas le lien entre le sens propre et le sens figuré mais en plus c'est dégueu. Des plans pour ne pas avoir envie d'aller serrer la main du lauréat.

Un collègue: " Ah, celle-là, j'te jure! Une vraie tête de linotte!"

Moi: "Ah bon? C'est quoi, une linotte?"

Le collègue: … euh…

Une fois qu'on a établi qu'une linotte est une sorte d'oiseau, il reste à trouver pourquoi "une tête de linotte". Est-ce parce qu'une linotte, c'est bête? Pourquoi pas une tête de moineau? Ou une tête de poule? C'est con, une poule. Eh, bien! Parce qu'une linotte, c'est un oiseau très remuant. Il s'envole souvent d'un vol bondissant pour se poser rapidement. Ah! Ok…

Lorsque je tique sur une expression idiomatique dont je ne connais pas les termes, c'est plus fort que moi, faut que je cherche. C'est pas toujours évident! Le Grand Dictionnaire de l'Office québécois de la langue française ne sait pas du tout ce qu'est un pourpoint. Parfois je trouve, parfois non. C'est vous dire si on est graves! On n'hésite pas à faire usage de mots qu'on ne connaît pas et que même Google (qui est notre ami) est impuissant à définir. Et on le fait sans même le réaliser.

Je vous reviendrai sûrement avec d'autres gallicismes aux origines obscures. En attendant, l'un d'entre-vous serait-il assez charitable pour me dire pourquoi il semble approprié de faire cramer les pourpoints?

4 cyberblabla(s):

Vance a dit...

Pour "ne pas être dans son assiette", je crois que ça vient du fait que "assiette" et "assis" viennent de la même origine, c'est donc ne pas avoir d'assise, c'est à dire d'équilibre.

Je n'ai aucun mérite, un chroniqueur de Télématin (France 2) l'a expliqué récemment.

Vance a dit...

Ah ben j'ai trouvé ça sur un blog voisin :

Au moyen âge, un pourpoint était un vêtement qui partait du cou et descendait jusqu'à la ceinture. Il pouvait être dépourvu de manche.
Sous son armure, un soldat portait évidemment un pourpoint qui était constitué d'une double peau rembourrée de laine.

C'est avec l'invention des armes à feu que cette expression apparaît.

Lorsque ce soldat reçevait une balle d'une arme à feu à courte distance, la balle traversait l'armure, et sa chaleur brûlait son pourpoint. "Tirer à brûle pourpoint" signifiait donc "Tirer à bout portant".

Si un tireur pouvait s'approcher si près qu'il brûlait un pourpoint, c'est qu'il a pu surprendre son adversaire. C'est cette surprise qui a été retenue dans l'expression au 21ème siècle.

Cyberyan a dit...

Vance, tu es irremplaçable :o)

Merci beaucoup! Enfin une explication plausible à ce maudit pourpoint inflamable! :o)

Quant à l'assiette, je n'ai jamais songé à cette explication d'équilibre; ce terme aéronautique étant pour moi trop éloigné du sujet de la santé. Mais ça ne peut être que ça, 'fectivement!

Thanx, Al!

M a dit...

Yan, ton explication pour lurette est pas mal, mais j'aime mieux celle de Fred Pellerin qui dit qu'en fait, c'est la Belle Lurette; cette Lurette étant une fille qui a vécu dans son village de St-Élie-de-Caxton dans le temps. C'est la fille du forgeron, et elle a d'ailleurs été forgée à partir d'un lingot d'or (c'est pour ça qu'elle était si belle). Bon, c'est plus folklorique que ton explication, mais c'est plus amusant :-)

LA DETTE DU QUÉBEC