“Two possibilities exist: either we are alone in the Universe or we are not. Both are equally terrifying.”

― Arthur C. Clarke

20090209

Champion

Je l'ai connu alors qu'il sévissait principalement sur McGill College, cette splendide avenue du centre-ville où il est formellement interdit de stationner — voire même de stopper sa voiture en bordure du trottoir, ne serait-ce que quelques secondes.

Ça remonte à plusieurs années. À l'occasion de multiples pèlerinages quotidiens où des collègues et moi allions faire le trottoir (ie: sortir fumer une smoke). C'est là, devant la porte du building, que nous l'avions vu pour la première fois.

Il n'était d'ailleurs pas difficile à remarquer, Champion. Il irradiait la suffisance! Fallait le voir arpenter les trottoirs dans son bel uniforme gris. Jetant des regards à gauche et à droite, l'air dominant du mâle Alpha marquant son territoire à grands jets d'urine, le pad de tickets dépassant d'une bonne vingtaine de centimètres de sa poche d'en arrière! Ah, qu'il était impressionnant! Faut dire que moi, un mec dégoulinant de connerie, ça m'a toujours fait cet effet. Je déteste les cons, mais les pires d'entre eux — les vraiment très cons, les cons plus-que-parfaits — dégagent comme une aura, un magnétisme particulier qui attire mon regard fasciné comme la lumière attire les insectes.

Mais je m'égare… revenons à Champion. Fallait le voir marcher d'un pas lent et sûr, les bras écartés du corps comme s'il avait deux tas de merde coincés sous les aisselles… car Champion est amateur de body building, en plus! Il avait cette attitude, ce physique qui hurlent l'obsession des poids et haltères. Je ne vous parle pas des saines habitudes de mecs plus courageux que moi qui tiennent à s'entretenir la santé. Non, je vous cause de ceux qui, dès leur plus jeune âge, ont choisi de pallier à leurs défaillances intellectuelles et à l'étroitesse de leur esprit via un rapport de développement mental inversement proportionnel à la tailles de leurs biceps. Ça leur fait des bras dont la circonférence leur interdit à jamais de les laisser pendre verticalement le long du corps et moi, ben ça me fait marrer.

Champion adorait son boulot. Ça se voyait; ça se percevait. C'était flagrant déjà rien qu'à sa gestuelle et sa façon d'aborder les gens: le regard pétillant du prédateur apercevant sa proie, le sourire carnassier avec le coin de la lèvre supérieure qui se dégage un peu trop, découvrant une rangée de canines et de prémolaires prêtes à passer à l'action.

C'est sa phrase d'intro qui nous a inspiré son surnom. Une phrase fétiche avec laquelle il apostrophait systématiquement le badaud d'une voix où nulle pitié n'avait jamais eu sa place: "Heille, champion! C't'un no-stop icitte!"

Puis, d'un geste souple et précis dû à d'innombrables répétitions, Champion dégainait son calepin et rédigeait une contre-danse au conducteur fautif, absolument imperméable à toute forme d'explication, de justification, de récrimination.

J'ignore comment il parvenait à retenir sa salive; à ne pas baver sur ses chaussure de would-be-cop assurément frustré par de vaines aspirations à faire partie d'un corps policier; d'un vrai.

J'admets que des "p'tits bonhommes verts", il en faut. Par contre, il y avait quelque chose de définitivement malsain dans la façon jubilatoire dont Champion exerçait son apostolat. Des années durant, le triste spectacle de pauvres automobilistes victimes de l'insatiable appétit de l'homme-qui-ticquette-plus-vite-que-son-ombre avait fini par me lasser, par m'écoeurer. C'est l'une des choses qui ne m'ont jamais manquées lorsque nous avons déménagés nos bureaux en avril 2007.

Un an plus tard, c'est avec une immense surprise doublée d'un profond désarroi que j'ai constaté que Champion avait ressurgi dans mon existence. Lors de mon court passage chez mon employeur précédant, toujours à l'occasion de mes excursions cancérigènes, j'ai réalisé que le territoire de cet ambassadeur de la connerie universelle s'étendait jusque là.

Aujourd'hui, j'ai un nouvel emploi. Je fume mes cigarettes à un nouveau coin de rue. Mes pensées hautement philosophiques s'échafaudent tandis que je porte un regard distrait sur le joli parc faisant face à nos bureaux. J'avais même réussi à taire jusqu'au souvenir de Champion, jusqu'à la semaine dernière du moins, lorsqu'en marchant vers le métro pour rentrer chez moi, j'ai croisé ce fonctionnaire ahuri sur mon parcours.

Est-ce mon karma? Vais-je vraiment devoir de nouveau supporter sa tronche de trisomique pendant les années à venir? Champion aurait-il le don d'ubiquité? Est-ce Dieu qui se fout de ma gueule?

Morose, je songe maintenant à cesser de fumer.

2 cyberblabla(s):

NONE a dit...

Mouahahahahahhaahah !!!!!!!! Tout un winner ton champion (ok jeu de mot poche j'avoue!) !!

Tout dans les bras, rien dans la tête :) Mais que veux-tu, ça en prends. Si tu ne l'avais pas "connu", tu n'aurais pas écrit ce billet, et tu ne m'aurais pas fait tant rire :)

Cyberyan a dit...

Moon:
Ouais, assez "cliché" comme personnage :o) En tout cas, j'suis bien content que le texte t'ai amusé ;o) xx

LA DETTE DU QUÉBEC