“Two possibilities exist: either we are alone in the Universe or we are not. Both are equally terrifying.”

― Arthur C. Clarke

20090215

ILLUSIONS PERDUES

Comme beaucoup d'entre-nous, j'ai longtemps cru au Paradis des Bas. Cet endroit utopique où se retrouvent toutes les chaussettes qui disparaissent mystérieusement durant le transit entre la malle à linge sale et le panier plein de vêtements propres qu'on n'a pas envie de plier.


De tout temps, j'étais fermement persuadé qu'un phénomène inexpliqué, digne de la Twilight Zone ou des X-Files, était responsable du désarroi des chaussettes esseulées que je retirais de temps à autre de la sécheuse. Pauvres petites créatures orphelines, jumelles siamoises à jamais sectionnées, ayant perdue leur identité de "paire" puisque seules désormais. Ces pièces de vêtements mises de côté — pourvu que j'en possède plus d'une paire identique — en attendant qu'une semblable tragédie me permette éventuellement de reconstituer une nouvelle paire avec les deux petites veuves.

Des années plus tard, j'ai appris fortuitement que j'étais dans l'erreur et que l'endroit édénique en question n'avait jamais existé. C'est au hasard d'un épisode de "Dans une galaxie près de chez vous" que je fus instruit de la chose. En fait, tous les bas perdus de l'univers avaient été aspirés par une sorte de vortex durant le cycle de séchage et étaient "warpées" en orbite autour d'un astéroïde, loin, très loin, aux confins de l'univers.

Je n'en avais pas été choqué outre mesure. Après tout, la magie de l'inexpliqué perdurait et je ne portais aucune responsabilité dans ces drames puisque des phénomènes spatiaux-temporels aléatoires étaient à l'origine des kidnappings de chaussettes.

Or, il y a quelques temps, voilà que ma laveuse est tombée en panne. Elle a simplement cessé de fonctionner au beau milieu d'un cycle de rinçage, me laissant pantois devant une cuve pleine de vêtements à moitié lavés et d'eau refusant obstinément de s'évacuer. Murmurant une vague prière à l'intention de l'hypothétique Saint protecteur des consommateurs, je signalais le numéro d'un réparateur qui, du moins l'espérais-je, me dépannerait promptement et à peu de frais.

Et c'est là, Ô lecteurs adorés suspendus à ces lignes, c'est là que j'ai su à quel point j'avais erré dans mes raisonnements! Point de Paradis des bas ou d'astéroïdes lointains aux anneaux faits de chaussettes! Le bon vieux monsieur accouru à mon secours m'a charitablement expliqué le tout, inconscient qu'il était de détruire mes illusions.

En démontant toute la patente, le réparateur a extrait avec une adresse de chirurgien une chaussette noire coincée à l'extrémité du tuyau d'évacuation d'eau, juste avant l'entrée de la pompe.

"Hein ?!" me suis-je exclamé, "comment diable est-ce possible?"

Bon, d'accord, j'ai peut-être employé un vocabulaire différent, mais ma perplexité demeurait entière. L'eau enfin retirée de la laveuse, j'observais la cuve de cette dernière, percée de centaines d'orifices minuscules, en me demandant comment la coupable pièce de vêtement avait bien pu passer par là pour rendre l'appareil électroménager hors d'usage.

Gentiment, le vieil homme m'a fait remarquer l'espace circulaire situé tout en haut de la cuvette, permettant à l'eau de se faufiler PAR-DESSUS la cuve pour retomber à l'extérieur de celle-ci et être recueillie quelque part en-dessous, en cas de débordement.

"Vous avez probablement mis trop de linge dans une de vos brassées, ce qui fait qu'une fois la machine remplie d'eau, le linge tournoyait tout juste au niveau du rebord. À un moment donné, la chaussette est passée par-dessus le rebord, pour tomber le long de la paroi externe et être aspirée par la pompe d'évacuation. Ça n'est pas si rare; on voit ça régulièrement."

"Mouuu-aah ! Mettre trop de linge?! " déclarais-je avec un étonnement mal feint.

Mentalement, je me revoyais entasser le max de linge possible dans la laveuse afin de limiter le nombre de brassées à faire parce que, honnêtement, ça me fait chier de faire la lessive.

Pourquoi vous racontais-je l'anecdote, me demanderez-vous. Après le Père Noël et la Fée des Dents, voilà que le vilain Cy vous ôte vos dernières illusions d'enfants… les bas perdus ne vivent pas heureux everafter comme vous l'aviez crû, mais finissent peut-être en moisissant sur le rebord d'un quelconque canal d'égout…

Je vous le raconte pour vous mettre en garde, mes drôles! Parce qu'il paraît que j'ai été chanceux. Parce que ça aurait pu me coûter une nouvelle pompe.

J'ai inhumée la chaussette sans tambour ni trompette, sommairement, via la poubelle de la cuisine. En voilà une en tout cas dont la disparition ne tient pas de l'inexplicable.

1 cyberblabla(s):

NONE a dit...

RIP petite chaussette ... c'est triste ton histoire ... elle sera morte seule, sans sa chaussette jumelle ... ARFFFFF ! :S

LA DETTE DU QUÉBEC